La surconsommation livresque

La surconsommation livresque

On connaît tous une personne qui achète un nombre incalculable de livres et se jette sur la moindre sortie, en sachant qu’elle n’aura pas le temps de tout lire. Elle achète les yeux fermés chaque livre qu’elle voit passer sur les réseaux sociaux parce que si les gens en parlent, c’est que c’est forcément merveilleux (non). Et parfois, cette personne c’est nous.

 

Ce comportement est de la surconsommation littéraire et c’est le sujet dont on a décidé de parler dans cet article. Il nous paraît important, étant nous-mêmes lectrices et donc directement impactées par cela.

Petit disclaimer : on ne juge en aucun cas le nombre de livres que tu achètes et que tu lis dans l’année, chacun gère ça comme il veut. Cet article n’est pas là pour te faire culpabiliser quant à ta manière de consommer. On va juste essayer d’y voir plus clair dans tout ça et de donner notre avis sur la façon dont ça nous impacte.

 

Parlons un peu de chiffres !

Pour commencer, on est obligé de parler de chiffres. Parce que bon, difficile de parler de surconsommation sans montrer les statistiques qui vont avec. On a principalement utilisé les chiffres de l’édition française, mais les évolutions sont similaires entre la Belgique et la France.

Entre 2022 et 2023 on remarque une légère baisse du nombre d’acheteurs de livres (rien de bien significatif), mais surtout l’augmentation de la fréquence d’achat. Il y a donc un tout petit peu moins d’acheteurs, mais ils consomment plus. Et c’est globalement le même constat qui revient dans la plupart des pays européens. Par exemple, l’achat de livres imprimés neufs en 2022, en Belgique francophone, a généré un chiffre d’affaires de 265,3 millions d’euros, la troisième meilleure année de la décennie en termes de ventes.

Cette évolution est le signe et le résultat direct du sujet dont on a décidé de parler : la surconsommation littéraire !

 

Les causes de cette évolution

On le sait tous très bien, notre consommation générale ces dernières années a été fortement influencée par les réseaux sociaux et ce qu’on y voit. Même si on en n’a pas forcément conscience, voir d’autres personnes avoir des bibliothèques gigantesques remplies de tous les plus beaux livres, réveille la petite voix qui nous dit qu’on aimerait la même chose. Alors qu’on sait très bien toi comme moi qu’on ne va pas recevoir miraculeusement la fortune d’un milliardaire inconnu pour pouvoir acheter tout ça (oui, Avery Kylie Grambs, on parle de toi) !

 

Soyons honnêtes, même si certains maintiennent qu’ils ne sont pas influencés par les réseaux sociaux : combien de livres a-t-on acheté presque sans lire le résumé parce que beaucoup en parlaient ? Combien de livres a-t-on acheté parce qu’on s’est rendu compte en les voyant chez les autres qu’ils rendaient quand même super bien dans une bibliothèque ?

Ce type d’achat n’est pas toujours négatif car certains de ces livres se révèlent être de très bonnes découvertes. Et ce n’est pas forcément le fait d’acheter de cette façon qui crée la surconsommation. Mais c’est un des éléments qui y participe car on rentre dans la pratique dangereuse de l’achat compulsif.

Enfin, ce qui joue sur notre consommation, c’est l’attrait de la nouveauté et l’habitude de plus en plus présente d’avoir tout, tout de suite. Et ça, les maisons d’édition l’ont bien compris !

 

Trop de nouveauté, tue la nouveauté !

 

Aujourd’hui, le nombre de livres édités chaque mois est assez impressionnant, surtout si on compare avec il y a quelques années. Rien qu’entre 2021 et 2022, on peut remarquer une augmentation : la production éditoriale est passée de 109 480 titres en 2021 à 111 503 titres en 2022 en France. Ce nombre de nouveaux titres par an impacte alors directement notre consommation, en satisfaisant notre besoin de nouveauté.

 Le problème qu’on a remarqué avec toutes ces nouveautés, c’est qu’on entend finalement plus parler de certains livres avant et pendant leur sortie avec les campagnes de promotion mises en place, qu’une fois qu’ils sont publiés. Comme si la vie éditoriale d’un roman était devenue beaucoup plus courte qu’avant.

 Résultat : il y a tellement de sorties en même temps qu’on ne peut pas toutes les voir passer et donc on n’a pas le temps de s’arrêter dessus.

Mais ce qui a particulièrement attiré notre attention en regardant les chiffres de l’édition, c’est le lien entre la surconsommation et la surproduction.

Comme les maisons d’édition s’attendent à une explosion des ventes concernant beaucoup de leurs nouveaux livres, ils en produisent énormément pour éviter les ruptures de stock. Le problème avec cette méthode, c’est que malgré l’augmentation de la consommation, les ventes ne sont pas toujours celles qui sont attendues. 20 % des livres produits chaque année sont alors renvoyés aux éditeurs par les librairies qui ne les vendent pas autant que prévu. Mais étant donné que les bâtiments ne sont pas extensibles pour stocker tous ces livres renvoyés, ils finissent par être détruits. Oui, tu as bien lu, 20 % des livres produits chaque année sont détruits.

 

Le livre comme objet de collection

On ne peut pas parler de consommation de livres sans parler de collection. Car oui, pour certains le livre est aussi important en tant qu’objet à exposer dans sa bibliothèque, que pour l’histoire qu’il contient. On est beaucoup à avoir ce livre si beau qu’il est exposé chez nous comme une œuvre d’art, et au sujet duquel chaque personne de notre entourage a subi toute une explication.

C’est quelque chose qui s’est encore une fois accentué avec les réseaux sociaux, qui mettent beaucoup en avant l’aspect esthétique des livres. Et c’est sûr qu’avoir un livre particulièrement beau, voire collector, ça fait plaisir !

 

Et ça, encore une fois, les maisons d’édition l’ont bien compris. On ne peut que le remarquer d’ailleurs, avec le nombre incalculable de livres publiés en relié collector ces derniers mois. Mais si on est content d’avoir la version collector de certains livres qu’on aime énormément ou qui sont particulièrement beaux, quand il n’y a que le relié qui sort et que tu ne souhaitais pas l’avoir dans cette version, c’est frustrant.

Attention ici Morgane, la stagiaire chargée d’écrire cet article. Je ne peux pas m’empêcher de donner mon avis sur ce sujet !

C’est quelque chose dont je peux débattre très longtemps, ne faisant pas partie des personnes toujours fan du format relié (je sens le regard outré de certains quand je le dis). Donc même s’il y a certains livres que j’attends beaucoup, voir qu’ils ne sont publiés qu’en reliés parce qu’il y aura toujours du monde pour les acheter, personnellement c’est quelque chose qui me pose problème.

Et tant qu’on en parle, les maisons d’édition jouent très bien là-dessus avec une merveilleuse invention : les collectors pas collectors. Rappelons-le, le concept d’origine d’un collector est qu’une fois tous les exemplaires vendus, il ne sera plus jamais produit après cela. Ce qui donne une valeur particulière à ces livres, autant par le concept que par l’appellation « collector ». Alors quand les maisons d’édition appellent un roman « collector » tout en le produisant indéfiniment, c’est surtout une façon de jouer sur l’idée du concept en plus de l’aspect esthétique du livre, pour vendre plus et surtout plus rapidement. Parce que beaucoup ont toujours en tête l’idée que s’ils ne l’achètent pas tout de suite, il ne sera plus là.

 

Le Tsundoku - 積ん読

Alors ça, c’est notre découverte du jour et finalement le mot le plus représentatif de notre problème à tous (en tout cas celui de la majorité d’entre nous) !

Le Tsundoku est un mot valise japonais, composé de « Tsunde-oku - 積んでおく» (accumuler pour utiliser plus tard) et de « Dokusho - 読書 » (livre), surnommé « syndrome de la pile à lire ». Il désigne le fait d’acheter et surtout d’accumuler des dizaines (voire centaines) de livres, sans jamais les lire.

Car même si c’est satisfaisant d’avoir suffisamment de livres pour adapter notre lecture à notre humeur, avoir une PAL plus grande que notre avenir avec certains livres qui y sont depuis 3 ans en sachant qu’on ne les lira jamais (oui, on parle en connaissance de cause), ça peut être problématique. Pas tellement pour ceux qui se contentent du livre en tant qu’objet, mais plutôt pour ceux qui achètent des livres avant tout pour les lire. Dans ces cas-là, on se retrouve dans la situation où on se lasse de certains livres avant même de les avoir lus, parce qu’on les a tellement vus qu’on perd l’envie de les lire.

 

Notre avis sur le sujet

Il n’y a pas que du négatif lié à l’évolution du monde du livre. Grâce à ça, aujourd’hui on est sûr de toujours trouver un livre qui correspond à ce qu’on cherche et de ne jamais être à court de lectures. On a aussi l’occasion d’avoir accès à des livres toujours plus magnifiques qui satisfont nos petits cœurs de lectrices. Et si la consommation de livres a autant augmenté, c’est que plus de personnes ont commencé la lecture grâce aux réseaux sociaux, qui nous permettent aussi de découvrir des livres sur lesquels on ne se serait jamais arrêté de nous-mêmes.

Le problème en soit, ce n’est pas d’acheter et de lire énormément de livres dans l’année, tant que ça correspond à ce qu’on souhaite. Surtout si on prend en compte qu’il y a une différence entre acheter et lire un livre. Accumuler des livres sans tous les lire parce qu’on les considère comme des objets de collection, n’est donc pas problématique. Ce qui l’est plus, c’est lorsque cette PAL est le résultat de la surconsommation et qu’on se retrouve bloqué dans le cercle vicieux que ça engendre, sans réussir à s’en détacher.

Mais quoi qu’on en dise, tu es libre de consommer comme tu le veux !

N’hésite pas à nous donner ton avis sur le sujet en commentaires.

 

Autrice : Morgane Noel

 

Sources: 
- ""C'est une sorte de drogue" : qu'est-ce que le Tsundoku, surnommé "syndrome de la pile à lire" ?" dans RadioFrance, 24 avril 2022 https://www.radiofrance.fr/franceinter/c-est-une-sorte-de-drogue-qu-est-ce-que-le-tsundoku-surnomme-syndrome-de-la-pile-a-lire-7521527 (consulté le 20 mai 2024)
- "Livre: plus de 350 Mios d’exemplaires vendus en 2023" , dans GfK Market Intelligence, 12 janvier 2024,
https://www.gfk.com/fr/press/plus-de-351-millions-livres-achats-france-2023#:~:text=Ainsi%2C%20les%20Français%20ont%20acheté,les%20données%20GfK%20Market%20Intelligence (consulté le 23 mai 2024)
- "Les chiffres de l’édition 2022-2023 sont disponibles", dans Syndicat national de l'édition, 7 juillet 2023,
Les chiffres de l’édition 2022-2023 sont disponibles - Syndicat national de l'édition (sne.fr) (consulté le 20 mai 2024)
- "Chiffres clés de l’édition", dans Syndicat national de l'édition, 7 juillet 2023, (page 5) Les chiffres de l’édition 2020-2021 sont disponibles - Syndicat national de l'édition (sne.fr) (consulté 20 mai 2024)
- "Les chiffres de l’édition 2019-2020", dans Syndicat national de l'édition, 7 juillet 2023, (page 5) Les chiffres de l'édition 2019-2020 - Syndicat national de l'édition (sne.fr) ( consulté 20 mai 2024)
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